Les décisions de la Délégation
Extrait du Compte rendu des travaux du Comité de la Délégation
(15-24 octobre 1907)
Décisions principales. — Après avoir consacré 17 séances à l'étude et à la
critique des divers projets de L. I., le Comité dans sa dernière séance (24
octobre après midi), « a déclaré que les discussions théoriques étaient
closes, et a nommé la Commission permanente dont le premier devoir
sera d'étudier et de fixer les détails de la langue qui sera adoptée. Cette
commission comprend MM. OSTWALD, président du Comité; BAUDOUIN DE COURTENAY et JESPERSEN, vice-présidents; COUTURAT et LEAU, secrétaires ». Ensuite, « il a décidé qu'aucune des langues soumises à son examen ne peut être adoptée en bloc et sans modification ». Alors
s'est engagée une longue discussion, au cours de laquelle MM. MOCH et
HUGON ont fait valoir toutes les considérations d'ordre pratique, qui
pouvaient entrer en ligne de compte pour déterminer, non plus la meilleure
solution théorique et idéale, mais la meilleure solution pratique du problème,
étant données les circonstances de fait. Dans cette, discussion, les membres
du Comité n'ont eu garde d'oublier les conseils que leur avait donnés dès le
début le président d'honneur M. Forster, au nom de son expérience des
œuvres scientifiques ou sociales d'intérêt international. Il les avait engagés à
tenir compte non seulement de la « perfection logique et linguistique d'une
solution », mais aussi de « sa valeur dynamique, et économique » , c'est-à-
dire de son degré de diffusion, et pour ainsi dire de sa puissance d'expansion
et de sa vitesse acquise. Il leur montrait l'intérêt que le Comité aurait à
s'appuyer sur une « communauté » déjà existante, en faisant prévoir que la
langue adoptée pourrait se délivrer à l'avenir de ses imperfections par voie
autonome. On peut affirmer que le Comité s'est inspiré dans une large
mesure de ces conseils autorisés, en décidant d'adopter en principe
l'Esperanto, et de consulter le Lingva Komitato au sujet des réformes et
perfectionnements qu'il jugeait nécessaires. C'est ainsi qu'il a abouti à la
décision suivante :
« Le Comité a décidé d'adopter en principe l'Esperanto, en raison de sa
perfection relative et des applications nombreuses et variées auxquelles
il a déjà donné lieu, sous la réserve de certaines modifications à
exécuter par la Commission permanente dans le sens défini par les
conclusions du Rapport des secrétaires et par le projet de Ido, en
cherchant à s'entendre avec le Comité linguistique espérantiste » .
Déclaration de M. Jespersen. - Au cours de cette séance, où a été
naturellement soulevée la question de savoir dans quelle mesure une langue
est la propriété, soit, de son auteur, soit de la communauté qui l'emploie et la
pratique, M. JESPERSEN a été amené à faire une déclaration, inspirée par
l'histoire et l'évolution des langues, « que, vu son caractère théorique, le
Comité n'a pas cru nécessaire de voter, mais qu'il a décidé d'annexer
au procès-verbal et d'insérer aux compte-rendus. » Voici cette
déclaration :
« Il est dans la nature d'une langue naturelle ou artificielle qu'elle
n'existe que par et pour les hommes qui s'en servent pour commander leurs
idées à d'autres personnes. Chaque individu y peut introduire des
changements consciemment ou inconsciemment. S'il ne trouve personne
pour l'imiter, sa médiation est par cela même morte. Si, au contraire, il
trouve des imitateurs ou que la même modification soit employée
indépendamment par plusieurs, elle devient règle au fur et à mesure qu'elle
est employée plus fréquemment. Ce serait pétrifier une langue que de
vouloir établir un seul livre comme norme invariable pour tous ou pour
toujours. De même, une seule personne ou une académie, fût-ce même une
académie élue par tous les gouvernements du monde, civilisé, ne peut jamais
prescrire de lois absolues et inviolables en matière de langue, quelque
autorité qu'elle puisse avoir pour donner des conseils pour le meilleur usage
».
Du reste, l'opinion générale, des membres du Comité était que, quelle que
fût la langue définitivement adoptée, il importait par-dessus tout, de lui
assurer une liberté de développement indéfini, et que, s'il convenait d'en
fixer d'une façon durable les principes et les règles essentielles, il fallait bien
se garder de consacrer comme intangibles des formes ou des mots qu'on peut
un jour ou l'autre être amené à changer en vertu du progrès même de la
langue. Il s'agit moins d'avoir une langue immédiatement parfaite qu'une
langue indéfiniment perfectible.
Dernières décisions. - « Enfin le Comité a décidé d'adjoindre M. DE
BEAUFRONT à la Commission permanente, en raison de sa compétence
spéciale », que le Comité avait été à même d'apprécier dans la double
comparution de M. DE BEAUFRONT, et qui lui a paru d'autant plus utile, qu'il
s'agissait en l'espèce d'amender l'Esperanto.
Toutes les décisions prises au cours de la dernière séance ont été votées à
l'unanimité des membres présents, savoir :
MM OSTWALD, BAUDOUIN DE COURTENAY, JESPERSEN, DIMNET, HUGON,
MOCH, RODET, COUTURAT et LEAU. « Les membres absents et non
représentés seront invités à les contresigner. »
II a été convenu que, dans l'intérêt de l'Esperanto et de l'entente avec le
Lingva Komitato, les décisions du Comité resteraient secrètes pendant les
négociations, ainsi que le projet de Ido, et qu'aucune communication ne
serait faite à la presse. Toutes les informations publiées par les journaux
après la session du Comité sont apocryphes et fausses.
La Commission permanente a tenu le lendemain matin (25 octobre) une
séance dont nous n'avons pas à rendre compte, d'autant plus que ses travaux,
et les négociations qu'elle a engagées avec le Lingva Komitato, ne sont pas
terminés. Le 2 novembre, ses secrétaires ont envoyé au Lingva Komitato les
divers documents relatifs au projet de Ido, visé dans la décision finale du
Comité; et ils lui remettront bientôt des exemplaires des Conclusions du
Rapport des secrétaires, Rapport que MM. BOIRAC et MOCH (président et
secrétaire du Lingva Komitato) possèdent en entier, comme tous les
membres du Comité .
Les Secrétaires du Comité,
L.COUTURAT L. LEAU.