Pendant l'exposition internationale de 1900 à Paris, la nécessité d'une langue auxiliaire internationale fût vivement ressentie durant les congrès. Suite à cela le philosophe Louis Couturat et le mathématicien Léopold Leau fondèrent en 1901 à Paris (6 rue de Vavin) la Délégation pour l'adoption d'une langue auxiliaire internationale dont le programme comportaient les articles essentiels suivants :
I - Il y a lieu de faire le choix et de répandre
l'usage d'une Langue auxiliaire internationale destinée, non
pas à remplacer dans la vie individuelle de chaque peuple
les idiomes nationaux, mais à servir aux relations écrites
et orales entre personnes de langues maternelles différentes.
II - Une langue auxiliaire internationale doit, pour remplir utilement
son rôle, satisfaire aux conditions suivantes :
- 1. Être capable de servir aux relations habituelles
de la vie sociale, aux échanges commerciaux et aux rapports
scientifiques et philosophiques;
- 2. Être d'une acquisition aisée pour toute
personne d'instruction élémentaire moyenne, et spécialement
pour les personnes de civilisation européenne;
- 3. Ne pas être l'une des langues nationales."
Ayant reçu l'adhésion de 310 sociétés de tous pays et l'approbation de 1250 membres d'Académies ou d'Universités, la Délégation élut alors un Comité international de savants et de linguistes de renommée internationale (O.Jespersen, J. Baudouin de Courtenay, W.Ostwald, ...) en charge d'adopter une langue auxiliaire internationale.
Réuni en octobre 1907 au Collège de France à Paris, ce Comité décida, après avoir étudié durant 18 séances tous les projets anciens et nouveaux de langue universelle (Espéranto, Neutral, Langue Bleue, ...), d'adopter l'Espéranto à condition d'y apporter quelques modifications dans le sens du projet Ido. Celles-ci avaient pour but tout en conservant les principes et les qualités de la langue du Docteur Zamenhof, de régulariser l'application de ces principes et d'éliminer certaines complications inutiles. Voici les principales de ces modifications :
- 1. Suppression des lettres accentuées, permettant d'imprimer partout des textes de cette langue, conservant l'orthographe phonétique et rétablissant souvent l'orthographe internationale;
- 2. Suppression de quelques règles grammaticales inutiles et très gênantes pour la plupart des peuples, surtout pour les personnes d'instruction primaire (accusatif, accord
de l'adjectif);
- 3. Régularisation de la dérivation, seul moyen d'empêcher l'invasion des idiotismes, et de fournir une base solide à l'élaboration du vocabulaire scientifique et technique, indispensable à la propagation de la langue internationale dans le monde savant;
- 4. Enrichissement du vocabulaire par l'adoption de racines nouvelles soigneusement choisies suivant le principe du maximum d'internationalité.
Tous les mots sont, en effet, formés de racines internationales, communes à la plupart des langues européennes, de sorte qu'elles sont connues d'avance par tout homme un peu instruit. Ce n'est donc pas une nouvelle langue à apprendre: c'est la quintessence des langues européennes. Mais elle est incomparablement plus facile qu'aucune d'elles, à cause de sa simplicité et de sa régularité absolues : pas de règles inutiles, pas d'exceptions. Elle réalise vraiment l'idéal formulé par l'éminent linguiste Jespersen: "La langue la plus facile pour le plus grand nombre d'hommes". Elle ne contient (à la différence de l'Espéranto) que des sons faciles à prononcer pour tous les peuples; par suite, les différences de prononciation sont insignifiantes et nullement gênantes.
C'est donc la langue internationale par excellence, fruit d'une évolution séculaire et de l'expérience acquise par les systèmes antérieurs. Sa précision peut servir à la science et permettre aux savants de se concerter vraiment; son adoption par les Gouvernements et son introduction dans les écoles de tous les pays pourrait rapprocher les peuples.
Au cours de la dernière séance, le Comité de la Délégation a nommé une Commission permanente "chargée de fixer les détails de la langue adoptée" composée de MM. Ostwald, président du Comité; Baudouin de Courtenay et Jespersen, vice-présidents; Louis Couturat et Léopold Leau, secrétaires et Louis de Beaufront. Ensuite l'éminent linguiste Jespersen a déclaré:
« Il est dans la nature d'une langue naturelle ou artificielle qu'elle n'existe que par et pour les hommes qui s'en servent pour commander leurs idées à d'autres personnes. Chaque individu y peut introduire des changements consciemment ou inconsciemment. S'il ne trouve personne pour l'imiter, sa médiation est par cela même morte. Si, au contraire, il trouve des imitateurs ou que la même modification soit employée indépendamment par plusieurs, elle devient règle au fur et à mesure qu'elle est employée plus fréquemment. Ce serait pétrifier une langue que de vouloir établir un seul livre comme norme invariable pour tous ou pour toujours. De même, une seule personne ou une académie, fût-ce même une académie élue par tous les gouvernements du monde, civilisé, ne peut jamais prescrire de lois absolues et inviolables en matière de langue, quelque autorité qu'elle puisse avoir pour donner des conseils pour le meilleur usage » .
Du reste, l'opinion générale, des membres du Comité était que, quelle que fût la langue définitivement adoptée, il importait par-dessus tout, de lui assurer une liberté de développement indéfini, et que, s'il convenait d'en fixer d'une façon durable les principes et les règles essentielles, il fallait bien se garder de consacrer comme intangibles des formes ou des mots qu'on peut un jour ou l'autre être amené à changer en vertu du progrès même de la langue. Il s'agit moins d'avoir une langue immédiatement parfaite qu'une langue indéfiniment perfectible.
C'est au début de 1908, suite au refus du Comité linguistique Espérantiste d'appliquer ces modifications, que la Délégation a donc décidé de nommer "Ido" la nouvelle langue auxiliaire internationale. Et c'est à la suite des travaux de la Commission permanente qu'ont été publiés les premiers manuels et dictionnaires de la langue Ido, "conforme aux décisions prises par le Comité et par la Commission Permanente", comme l'atteste formellement une déclaration de la dite Commission, signée par tous ses membres.
La Délégation, ayant ainsi achevé sa mission, s'est dissoute régulièrement le 31 juillet 1910, après avoir fondé l'Uniono por la Linguo Internaciona (ULI),
chargée de développer et de propager la "Langue
internationale de la Délégation".
|